• Legende Tsigane de Pologne : La Fleur de Fougère

    Légende Tsigane de Pologne : La Fleur de Fougère

    Les roulottes se sont arrêtées à l'orée d'un grand bois. La nuit tombe, donnant aux arbres d'étranges silhouettes, quelque peu inquiétantes. Keja, pourtant, n'éprouve aucune frayeur. Au contraire même, on dirait que toutes ces ombres noires l'attirent, l'appellent...



    Keja, la petite Tsigane, ne peut résister. Elle se lève et s'écarte doucement du feu tout rouge dont les flammes lèchent l'immense chaudron noir où cuit la soupe d'ortie et de viande. Personne ne fait attention à elle. La fillette s'engage sur un sentier étroit. Les branches feuillues forment au-dessus de sa tête une voûte mouvante, mais non, décidément, la peur n'occupe aucune place dans son esprit léger. Elle va, marchant sur un tapis de mousse où ses pieds nus s'enfoncent, sans penser à rien, heureuse simplement de ce calme profond autour d'elle...

    Mais voilà qu'au pied d'un sapin, à quelques pas, malgré l'obscurité, elle aperçoit une ombre. Regardant mieux, elle devine une femme, vêtue de noir. Elle s'en approche sans hésiter:


    - Grand-mère, dit-elle, que vous arrive-t-il ? Avez-vous besoin de quelque chose?

    Un visage se tourne lentement, un visage blême et des yeux noirs, profonds, perçants, la contemplent, tandis qu'une bouche fine esquisse un semblant de sourire:

    -Merci, Keja, dit la vieille femme, je n'ai besoin de rien.

    La fillette troublée veut s'excuser, reculer, mais l'autre reprend:

    - Tu as bon coeur, petite Tsigane... Pour te remercier, comme je suis une sorcière, je vais te mettre sur le chemin de la fleur de fougère.

    - De... la fleur de fougère ?

    - Oui, petite, oui... La fleur de fougère est une fleur enchantée; qui la cueille connaît la richesse, son avenir et celui de tous les hommes... Cette robe trouée que tu portes, bientôt tu pourras la jeter. .. Tu vivras couverte de soie et d'or. Keja ne, répond rien, émerveillée.

    -Va par là, tout droit, sans reculer... Tu entendras sans doute un serpent se dresser devant toi et siffler. Ne détourne pas les yeux et passe sans peur...

    - Un serpent?

    - Ensuite, tu apercevras un château merveilleux. Par les fenêtres ouvertes des cuisines te parviendront les odeurs suaves d'un festin; par celles des salons, la musique joyeuse d'un bal, des rires... Passe vite alors, Keja, passe vite...

    - Un château?

    - Enfin, tu entendras le galop d'un cheval; son cavalier, beau et fier, tendra vers toi un bouquet de roses... Baisse la tête et sauve-toi!

    - Un cavalier?

    - Alors tu verras la fleur de fougère... Bonne chance,

    Keja...

    La petite Tsigane veut parler, demander des précisions sans doute; seulement elle reste bouche bée: il n'y a plus personne sous le sapin, la sorcière a disparu.

    Keja hésite, puis se décide:

    - J'irai...

    Et elle va. Épines et cailloux remplacent bientôt la mousse du chemin. Qu'importe, elle va... Et puis un sifflement horrible se fait entendre, Keja frissonne, apercevant devant elle une tête de vipère énorme, ondulante, la langue pointée, prête à frapper. Elle avance, fixant la bête qui recule... Elle passe. Les branches l'accrochent au passage, déchirant encore davantage ses pauvres vêtements, l'égratignant jusqu'au sang...


    Et le château annoncé paraît, plus merveilleux encore qu'on ne pouvait l'imaginer, avec ses odeurs de viandes délicates et sa musique, plus enivrante que celle d'un violon tsigane pleurant et riant à la fois une nuit de la Saint-Jean...Elle court, la petite Tsigane, droit devant elle, pour ne pas céder à la tentation de la gourmandise, de la joie, de la danse.


    Un cheval qui hennit! Keja s'arrête. Elle pense: « Beau chevalier, je ne te regarderai pas, j'ai beau en mourir d'envie...Mais le cœur d'une luludji n'est pas pour un étranger ! »


    Sauve-toi, fillette, sauve-toi! Les hennissements du coursier s'assourdissent, se perdent, disparaissent... Keja, tu es bientôt au bout de tes peines...

    Elle ne peut retenir un cri de saisissement: la fleur de fougère est devant elle, une fleur de fougère délicate, fascinante, scintillante telle un diamant. Les rayons de lune jouent sur ses facettes innombrables.

    Keja tend la main et puis soudain s'arrête, la gorge nouée, le corps tremblant: « Qu'allais-tu faire Keja ? Se dit-elle: qu'allais-tu faire? Cueillir cette fleur, pourquoi? Quel bonheur t'attend donc? L'or, la soie, les richesses? À quoi bon? Connaître l'avenir, alors? Le tien, celui des autres?

    Connaître à l'avance les joies? Tout prévoir, ne rien deviner? Plus de surprise, plus de découverte, rien de nouveau à voir, à sentir, à éprouver? Mais quelle est cette vie, Keja, que tu te prépares? Es-tu folle? »...

    Qu'importent la faim et la soif, les incertitudes du moment qui vient, l'orage qui s'apprête dans le ciel, les cailloux pointus du chemin, les épines dans les pieds nus... Keja se met à rire et rebrousse chemin, vers les roulottes, sans cueillir la fleur de fougère...



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